De nos jours orientée vers les aspects
les plus modernes de la conservation de la nature et ses applications,
la SNPN est issue d'un long et prestigieux passé.
La Société impériale zoologique
d'acclimatation a été fondée en 1854 par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire,
professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, titulaire de la
chaire de zoologie des mammifères et des oiseaux. Elle se proposait
alors de concourir à l'introduction, à l'acclimatation et à la
domestication des espèces d'animaux utiles ou d'ornement, au
perfectionnement et à la multiplication des races nouvellement
introduites ou domestiquées. Plus tard, son programme s'étendit aux
végétaux, tandis que les événements politiques l'amenaient à se
convertir en Société nationale d'acclimatation de France.
Cependant, les préoccupations qui avaient
présidé à sa fondation, sous l'influence même des naturalistes, savants
et amateurs, qui l'animaient, se sont modifiées en même temps que
progressait la connaissance de la nature et que la civilisation
industrielle et technique étendait son emprise. Aux yeux de l'homme du
XIXe, la nature constituait un capital inépuisable dont il était utile
de mettre en oeuvre les ressources. Quelques décennies plus tard, les
naturalistes constataient que ce capital était si gravement entamé qu'il
importait avant tout, pour la survie même de l'humanité qui en dépend
étroitement, d'en garantir les revenus qui fixent la limite des
prélèvements raisonnables et, dans la mesure du possible, de restaurer
ce qui avait été détruit.
Dès les premières années de ce siècle,
Edmond Perrier, Directeur du Muséum, membre de l'Institut et président
de la Société d'acclimatation de 1901 à 1921, exprimait dans ses
discours la plus vive inquiétude devant les dangers que, ce qu'il est
convenu d'appeler le développement, faisait courir à la planète. Il
dressait des tableaux documentés et étendus des destructions subies par
la faune, la flore et les écosystèmes dans le monde entier, il évoquait
déjà les problèmes de la surexploitation et de la surpopulation. Sous sa
présidence, la Société d'acclimatation orienta résolument ses activités
vers la protection de la nature et de ses ressources. En 1906, elle
inspirait la fondation d'une Société des amis de l'éléphant pour sauver
celui-ci de l'extermination (déjà). En 1912, elle animait la
constitution sous son égide de la Ligue française pour la protection des
oiseaux et la mise en réserve ornithologique des Sept-Iles, en Bretagne.
Le successeur d'Edmond Perrier, Louis Mangin, présidait le premier
congrès international pour la protection de la nature qui se tint à
Paris en 1923, co-organisé par la Société d'acclimatation.
C'est ainsi que la Société
d'acclimatation est devenue successivement la Société nationale
d'acclimatation et de protection de la nature et enfin, la Société
nationale de protection de la nature. Le but de l'association est donc
désormais la conservation de la nature et de ses ressources.
Fidèle à ses origines, la SNPN a pour
préoccupation première le maintien de la diversité génétique de la faune
et de la flore, la protection de toutes les espèces qui constituent le
règne animal et le règne végétal. Mais celle-ci implique la sauvegarde
des habitats naturels, la lutte contre la dégradation des sols, contre
la pollution de l'eau et de l'air, car tous ces éléments sont intimement
liés, comme l'enseigne l'écologie, discipline à laquelle est consacrée
depuis 1949 la revue trimestrielle la Terre et la Vie, organe
scientifique de la SNPN, qui porte d'ailleurs en sous-titre revue
d'écologie appliquée à la conservation de la nature".
La conservation des espèces n'allant pas
sans la conservation des habitats naturels, c'est très logiquement que
la SNPN fut entraînée, voici déjà plus de soixante ans, à la création de
réserves, à leur gestion directe éventuellement, à leur maîtrise
foncière pour assurer la pérennité de son oeuvre.
Dès 1926, elle jetait les bases de ce qui
allait devenir la plus célèbre réserve de France et l'une des plus
fameuses d'Europe, la réserve nationale de Camargue qui pendant près
d'un demi-siècle fut connue sous la dénomination de réserve zoologique
et botanique de Camargue, les deux adjectifs indiquant clairement le but
premier et la permanence des objectifs de la SNPN. Lorsque le Conseil de
l'Europe institua un diplôme particulier pour honorer les réalisations
les plus prestigieuses dans le domaine de la conservation de la nature,
la réserve de Camargue fut la première à qui il attribua la nouvelle
distinction (1967), de même que le Conseil international de coordination
du programme MAB de l'UNESCO la retint, dès 1975, comme réserve de la
biosphère.
Peu d'années après l'établissement de la
réserve de Camargue, la SNPN fondait les réserves de Néouvieille dans
les Pyrénées et du Lauzanier dans les Alpes. A l'inverse de la réserve
de Camargue, la gestion de ces deux réserves n'appartient plus à notre
association, mais il est important de souligner que l'une et l'autre
sont, de nos jours, au coeur de parcs nationaux, respectivement le parc
national des Pyrénées occidentales créé en 1967 et le parc national du
Mercantour créé en 1979. L'institution de ces deux parcs atteste le
discernement dont avait fait preuve la SNPN dans le choix de ses points
d'effort.
Formulé dès 1935, l'exposé des motifs
dans le règlement des réserves de Néouvieille et du Lauzanier est un
véritable manifeste où sont clairement énumérées et définies les
orientations de la SNPN et ses intentions d'activité : protéger la faune
et la flore, c'est bien sûr le mobile d'origine, fondamental, mais il
s'y ajoute le souci de conserver intact l'aspect d'une portion de
montagne, là pyrénéenne, ici alpine, qui associe à la conservation du
milieu l'esthétique du paysage et sa compréhension, le souci de
"développer le goût et le respect de la nature" véritable programme
d'éducation du public, sans l'adhésion duquel ne peut être assurée à
long terme la sauvegarde de la nature et pour qui d'ailleurs elle est
menée, enfin "les recherches scientifiques et pratiques se rapportant à
la nature" qui sont mises en oeuvre et poursuivies dans toutes les
réserves de la SNPN. Sans l'étude du fonctionnement et de l'économie de
la nature, c'est-à-dire de l'écologie, il ne saurait y avoir de mesures
conservatoires utiles : elle apporte aux décideurs les étais de leurs
choix.
Les actes des réserves sont régulièrement
publiés dans la Terre et la Vie et témoignent de l'intense travail
scientifique coordonné par la SNPN, tandis qu'un autre organe de la SNPN,
le Courrier de la Nature, destiné à un public plus large, assure la
liaison avec les adhérents et les tient au courant des initiatives et de
l'actualité.
Plus récemment, la SNPN a pris en charge
le lac de Grand Lieu en Loire-Atlantique, à la suite d'une donation
faite à l'Etat par le parfumeur bien connu Jean-Pierre Guerlain, sous la
condition expressément stipulée que la réserve instituée sur son
ex-domaine serait gérée par notre association. Lac-étang de 3700
hectares (5600 en hiver), Grand Lieu est l'une des plus importantes et
des plus originales zones humides de l'ouest de la France, classée sur
la liste des zones humides d'importance internationale au terme de la
convention de Ramsar. Grand Lieu est le lieu de nidification de la plus
importante héronnière mixte d'Europe de l'ouest. C'est la réussite
exemplaire de la gestion de la SNPN en Camargue qui a inspiré le geste
du donateur de Grand Lieu.
Contribuer à l'éducation du public est
tenu par la SNPN pour l'une de ses plus importantes missions. Elle fait
un effort particulier pour diffuser les notions de conservation, les
rudiments de l'écologie, en élaborant des documents pédagogiques variés,
affiches, film, cassettes, mallettes pour les écoles, en organisant des
conférences sur des thèmes en pointe traités par les meilleurs
spécialistes de langue française, en organisant tout au long de l'année
des sorties et des voyages d'initiation à la nature qui, par
l'observation directe des plantes et des animaux dans leur milieu permet
de saisir concrètement l'enjeu de la conservation. Le Courrier de la
Nature contribue aussi à la mission d'information et d'éducation du
public par ses articles sur la nature et l'écologie, par ses rubriques
consacrées à l'actualité, nouvelles, faits, lois et documents concernant
la protection et la destruction de la nature, en France et dans le
monde.
La France est un pays où la pression
cynégétique est particulièrement forte, la plus élevée d'Europe : à
cause du très grand nombre de permis délivrés annuellement, à cause de
la durée exceptionnellement longue de la saison de chasse autorisée, à
cause du maintien de pratiques archaïques de capture et de tir sous
prétexte de traditions locales, à cause de mauvaises habitudes de
braconnage que l'indiscipline chère aux Français leur fait gloire de
perpétuer. Il n'est pas surprenant que dans une telle ambiance la SNPN
ait fréquemment à prendre position sur des problèmes de chasse. Sur le
fond, elle lutte pour que la chasse s'exerce dans le respect des
équilibres biologiques, notamment pour que les dates d'ouverture et de
fermeture de la chasse préservent les impératifs de la reproduction du
gibier. Elle lutte pour que la notion de "nuisible" ne soit pas
appliquée abusivement et sans fondement objectif à des animaux comme les
petits carnivores qui ne causent aucun dommage ni à l'agriculture ni aux
espèces protégées, aucun préjudice à la sécurité ni à la santé publique.
Elle lutte depuis qu'une loi de 1964 a
dissocié le droit de chasse du droit de propriété, pour obtenir la
reconnaissance officielle d'un droit de gîte : droit pour l'homme
d'offrir le gîte, c'est-à-dire un lieu de repos, de reproduction, de
passage, de nourriture, à l'abri des hommes en quête d'appropriation.
Droit volontariste dont l'expression positive a paru aux administrateurs
de la SNPN plus exaltante et plus prometteuse que la simple négation du
droit de chasse : il s'agit en fait d'instaurer entre l'homme et la
nature une relation nouvelle.
Dans toutes ses initiatives, la SNPN
s'avère soucieuse de s'appuyer sur des arguments scientifiquement fondés
et c'est sans doute la raison pour laquelle il y a dans son conseil
d'administration une proportion élevée de savants éminents. Mais cette
option ne traduit pas une sorte de repli élitiste sur la réflexion. La
SNPN est résolument tournée vers l'action et le public comme le
démontre, avec éclat dans le déroulement et avec bonheur dans le
résultat, sa récente campagne "Amnistie pour les éléphants", commencée
en 1987 pour mettre fin au commerce de l'ivoire qui générait un
braconnage mortel à court terme pour l'éléphant d'Afrique. Cette
campagne mit en oeuvre tous les moyens offerts par les media
contemporains et réunit en France plus de 300 000 signatures afin
d'obtenir l'inscription de l'espèce sur l'annexe I de la convention de
Washington (CITES). Le résultat fut acquis à la fin de 1989, à l'issue
de la conférence de Lausanne.
Un succès significatif, de grande portée
et particulièrement encourageant pour la vie associative.
Christian JOUANIN
Vice-Président de la Société nationale de protection de la nature