Extrait du Bulletin N°4, octobre 1861, p. 41 à 44
Quelques considérations sur la culture dans les
Alpes-Maritimes.
PAR M. P.
BOUNIN.
Une vérité dont tous les hommes sont
convaincus,
c'est que l'agriculture et l'industrie sont les bases de la
richesse d'un pays, et que l'avenir de l'une dépend de
la prospérité de l'autre.
Lorsqu'une disette agricole se fait sentir, le com-
merce et l'industrie éprouvent un malaise considérable.
Les propriétaires ou les agriculteurs consomment,
pour la plus grande part, les produits industriels ; or,
il est évident que lorsque l'argent manque à cette classe
nombreuse de la société, par le fait d'un manque de
récolte, tout est mis en question dans notre organisation
sociale. Le manufacturier et l'ouvrier travaillent peu,
car l'habitant des campagnes, et le propriétaire, arrêtent,
leurs dépenses, n'achètent que le strict nécessaire, et ce
nécessaire ne suffit pas pour faire prospérer l'industrie.
Pour se permettre les fantaisies du luxe, il faut de
l'argent ; or, l'argent n'arrive chez le propriétaire fon-
cier que par les échanges de ses produits.
Nous pouvons par le développement et les progrès
agricoles accroître la production de notre territoire des
trois-quarts, ou seulement de la moitié : certes , ce n'est
pas la une chose bien difficile à obtenir, puisque l'An-
gleterre, avec un sol plus ingrat , et un plus mauvais
climat, produit en moyenne deux fois plus que la
France. N'avons-nous pas aussi la Belgique et l'Alle-
magne pour nous servir d'exemple ?
En général, nous réglons nos dépenses non sur la
totalité, mais sur une partie de nos revenus : et qui
empêcherait d'affecter le surplus à faire des travaux
d'amélioration, à satisfaire les besoins qui augmentent
en proportion de l'accroissement de la fortune?
Les principaux produits de ces contrées sont fournis
par l'olivier, l'oranger, la vigne et le commerce de la
parfumerie.
L'arrondissement de Grasse ne laisse rien à désirer :
l'olivier y produit régulièrement, chaque deux ans, plus
du double que les nôtres ; mais c'est à condition que cet
arbre soit élagué tous les deux ans, et fumé chaque
année.
A Nice, en général, l'olivier n'est ni élagué, ni fumé,
ni bêché convenablement.
La province de Bari, dans le royaume de Naples, est,
sans contredit, le pays qui fournit, en proportion de son
etendue, le plus d'huile de tous les pays du monde. On
y élague les oliviers une fois, et on les bêche six fois
par an.
La Toscane suit à peu près le même système ; aussi
la Toscane a-t-elle des récoltes d'huile constantes.
En élaguant l'oranger et le bigaradier chaque année,
j'ai doublé le produit de mes propriétés.
Abandonnons dans nos jardins la culture des fèves,
du maïs, des haricots, qui ne sauraient en aucune ma-
nière couvrir les frais d'exploitation, et remplaçons ces
plantes peu productives par le jasmin, la rose, la tubé-
reuse, la violette, et nos produits, qui sont tombés à
zéro, s'élèveront à 4 ou 5 mille francs l'hectare.
L'oïdium détruit nos récoltes depuis plusieurs années,
parce que nous le voulons bien : soufrons la vigne au
moment du bourgeonnement — soufrons fortement à
l'époque de la floraison ; employons 30 à 40 kil. de
soufre par hectare ; — soufrons encore au moment ou
le raisin change de couleur, et soyons certains que
l'oïdium sera vaincu, et que nous aurons des récoltes
positives, comme on les obtient par ces moyens, dans
l'Hérault, à Bordeaux, dans la Champagne.
J'engage mes concitoyens à aller visiter un vignoble
que je possède à St-Laurent-du-Var, quartier de la
Pomarée, à 10 minutes du village, ils y verront une
récolte de raisin la plus luxuriante qu'on puisse trouver
— pas une grappe malade ; à droite et à gauche de ma
propriété, même plantation, même exposition, même
cépage, on n'y verra cependant que vignes malades,
peu ou pas de raisins, et l'oïdium partout. Voilà plu-
sieurs années que j'obtiens de bonnes récoltes par le
soufrage, tandis que celles de mes voisins sont nulles.
N'y a-t-il pas lieu de s'étonner d'une pareille apathie ?
La Société d'Agriculture de Nice ne reculera devant
aucune difficulté ; elle luttera avec énergie et persévé-
rance contre la routine et les préjugés agricoles. Elle a le
ferme espoir de parvenir à son but par des récompenses
que ses nouvelles ressources lui permettent d'augmenter
et de multiplier, par la publicité qu'elle donnera à tous
les procédés propres à améliorer nos récoltes et nos pro-
duits, par l'exemple qu'offriront les principaux mem-
bres de la Société et par les bons résultats qu'ils ob-
tiendront.
P. BOUNIN, Vice-Président.
