Extrait
du Bulletin N°3, juillet 1861, pages 13 à 15
Rapport de M. Garron sur la Pisciculture.
Messieurs
Nos premiers essais de
Pisciculture n'ont pas eu un
succès complet.
Les œufs fécondés de Saumons du Rhin, de Truites des
lacs et d'Ombres Chevalier envoyés sur ma demande de
l'établissement d'Huningue à plusieurs de MM. les Membres de la Société
d'Agriculture et à M. le baron de Vanoy, ont eu la mauvaise chance de parcourir un fort long
trajet par un froid glacial, et de subir, en outre, l'influence
dangereuse de brusques changements de température
dans les gares où ils ont été momentanément déposés.
C'est surtout dans le parcours de Toulon à Nice qu'ils
ont dû être défavorablement impressionnés par l'action
atmosphérique relativement chaude. Ces circonstances
fâcheuses, dont j'ai rendu compte à M. le Directeur de
l'établissement d'Huningue, expliquent la mortalité d'une
forte quantité d'embryons et à l'arrivée et pendant l'incubation.
Bien que le succès laisse à désirer, je me hâte de constater l'existence d'une réussite assez satisfaisante chez
M. Verany, membre de la commission de Pisciculture.
Cette réussite n'a presque rien laissé à désirer chez M. le
baron de Vanoy où les œufs de salmonidés, mis en incubation dans un appareil admirablement disposé, ont été
constamment l'objet des soins les plus attentifs et les plus
persévérants de la part de M. et de Mme de Vanoy qui
n'ont subi, comparativement, que des pertes insignifiantes.
Je saisis avec empressement cette occasion pour faire
connaître à la société les dispositions excellentes dont
M. de Vanoy est animé en faveur de l'oeuvre d'utilité publique que nous avons
entreprise. Homme essentiellement éclairé, passionné pour le progrès, disposé à ne
pas reculer devant la dépense indispensable à sa réalisation, il m'a donné plein pouvoir à l'effet de diriger et
d'ordonner tout ce que je croirai utile pour établir, au
moyen des eaux aussi magnifiques qu'abondantes dont il dispose, une véritable
Pisciculture modèle. Dans ces heureuses conditions, j'ai la conviction profonde que vous
pourrez, dans peu de temps, juger par vos yeux, qu'en
matière aussi intéressante, le succès est facile et tient
seulement à une forte volonté.
D'après les renseignements précis qu'on m'a donnés,
je crois qu'en parquant certaines espèces de poissons de
mer qui remontent dans les rivières, nous pourrons, dans
quelque temps, obtenir des métis, par le fait acclimatés,
en faisant féconder les œufs de ces espèces remontantes
par des mâles d'eau douce ayant de l'analogie avec elles
pour la forme et pour la nature de l'alimentation. Nous
tenterons avec succès, je l'espère, cette curieuse expérience lorsque l'endiguement prochain du Var assurera
une quantité d'eau suffisante en toute saison.
Dans une excursion que j'ai récemment faite à Villefranche et à Saint-Jean, j'ai remarqué, particulièrement
sur ce dernier point, des emplacements nombreux qui
m'ont paru être éminemment propres à recevoir de la
semence d'huîtres de l'Océan Le temps m'a manqué pour
aller examiner la côte maritime à l'embouchure du Var,
qu'on m'a assuré être mieux disposée encore que celle de
Saint-Jean pour cette précieuse destination.
Permettez-moi, Messieurs, d'appeler un instant votre
attention sur un fait capital qui se produit journellement
sous vos yeux et qui mérite, à cause de son caractère
destructeur, d'être signalé à la juste sévérité de l'autorité
supérieure. Je veux parler de cette pêche scandaleuse
qui a pour objet de prendre et de livrer publiquement à
la vente le poisson qui vient de naître. Cet affreux abus
qui révèle chez ceux qui s'y livrent la plus déplorable
imprévoyance, est à la fois la cause directe et permanente de la rareté et de l'excessive cherté du poisson.
Comment se fait-il que les pécheurs ne comprennent pas,
eux-mêmes les premiers, qu'ils foulent volontairement
aux pieds leur intérêt le plus évident, en donnant pour
un kilogramme de poisson qui vient d'éclore une énorme
quantité de sujets qui équivaudrait à plusieurs centaines
de kilogrammes, si on les laissait parvenir à l'état marchand ? C'est le cas, Messieurs, d'invoquer l'exécution
sévère des règlements sur la matière, dans l'intérêt public et dans celui, bien entendu, des patrons pêcheurs
qui ne tarderont pas de reconnaître l'évidente utilité de
cette mesure de conservation.
Nice, le 5 mai 1861.
Le Membre dirigeant la Commission, de Pisciculture,
GARRON.