Extrait du Bulletin N°3, juillet
1861, pages 11 à 12
Mémoire de M. le comte De Pierlas.
Messieurs
Permettez que je vous entretienne un instant d'une
importante amélioration que nous devons tacher d'apporter à la culture de l'oranger.
Le nombre des espèces et des variétés qui sont cultivées dans le pays est assez considérable ; mais nos oranges,
qui, pour la plupart, ont l'écorce épaisse, laissent généralement a désirer sous le rapport de la bonté.
C'est un préjugé de croire que les oranges sont moins
bonnes à Nice qu'elles ne le sont à Malte, en Sicile, à
Mayorque, parce que le terrain est d'une autre nature :
par la comparaison climatérique des plantes qui résistent
a Nice et à Palerme, j'ai dû me convaincre que notre
climat n'est pas inférieur à celui de la capitale de la Sicile,
et que celui de Villefranche est en hiver même plus
chaud que celui de Palerme : les oranges de Villefranche
devraient, dans ce cas, être meilleures ; elles ne valent
cependant pas mieux que les nôtres : la comparaison
climatérique que j'établis entre Villefranche et Palerme
ne peut être contestée. Je vous ai entretenu, il y a
plusieurs mois, de l'Anona Cherimolia, arbre du Pérou,
dont les fruits ne mûrissent en Sicile qu'en été, tandis
qu'à Villefranche, ils obtiennent une maturité parfaite en
février et mars, preuve d'une plus forte chaleur en hiver.
Les plantes sont de véritables thermomètres dont on doit
se servir pour déterminer la météorologie Agricole de chaque pays.
Je crois avoir démontré d'une manière incontestable
que le climat et le terrain ne sont pas la cause de l'infériorité de nos oranges.
Je demande, en conséquence, que la Société se mette
en rapport, s'il est possible, avec les propriétaires de la
Sicile, de Malte, d'Espagne pour avoir, au mois d'août
prochain, quelques milliers de greffes destinées à être
distribuées aux propriétaires, en attendant que la Société
puisse avoir un jardin d'Acclimatation ou une ferme-école
pour y planter des arbres comme porte-greffes.
Quant à la qualité du terrain, je puis garantir que c'est
la même que nous avons en général à Nice, d'après la
terre que j'ai trouvée autour des orangers qui me sont
parvenus de Malte, de Sicile, d'Espagne. Ce qui prouve
que le climat et le terrain ne sont pas la cause de l'infériorité de nos
produits, c'est que nous avons, dans plusieurs de nos jardins, à peu de mètres de distance, des
orangers portant des fruits aussi parfaits que ceux de la
Sicile, et d'autres d'une qualité plus ou moins mauvaise :
pourquoi donc, jusqu'à ce jour, a-t-on greffé les orangers
a écorce épaisse, variétés bien inférieures ? la raison en
est bien simple : comme nos pères ont cultivé l'orange
dans un but de spéculation, ils ont dû, à une époque où
les moyens de transport étaient longs et coûteux, (car nos
oranges étaient expédiées à Paris, en Allemagne, même en
Russie), ils ont dû , dis-je , s'attacher à multiplier les
espèces à écorce épaisse, parce qu'elles se conservent
plus facilement dans une longue traversée, tandis que
celles à écorce mince, n'offrant pas les mêmes garanties
pour être transportées avec succès, n'auraient pas trouvé
d'acheteurs sur nos marchés : mais, maintenant que
l'Europe est sillonnée de chemins de fer, et que les
transports sont si prompts, pourquoi ne ferions-nous pas
regreffer peu à peu tous nos orangers avec de bonnes
variétés ? N'y retrouverions-nous pas notre compte ? Nos
oranges ne se vendent, au moment de la récolte, qu'à
raison de 10 à 12 fr. le mille, les petites moins encore ;
si nous avions de bonnes variétés, ne se vendraient-elles
pas cinq ou six fois davantage ? Nous y trouverions donc
un grand bénéfice, et les consommateurs des pays du
Nord pourraient avoir des oranges à des prix infiniment
réduits. Au mois d'avril, beaucoup de propriétaires
n'avaient-ils pas encore leurs orangers chargés de leurs
fruits au préjudice de l'arbre et de la prochaine récolte
de fleurs d'oranger ? Il me semble, Messieurs, que la
question est assez importante pour appeler d'une manière
sérieuse l'attention de la Société et des propriétaires, afin de pourvoir aux
moyens d'améliorer la culture d'un végétal qui réunit à la fois utilité et agrément. J'ai introduit,
depuis plusieurs années, un certain nombre d'orangers
de Malte, de Sicile, d'Espagne ; ils ont déjà porté quelques
fruits vraiment parfaits, et j'ai pu distribuer des greffes
de ces variétés à mes connaissances. Il faut maintenant
que notre Société d'Acclimatation prenne l'initiative et se
mette en mesure d'améliorer une des cultures les plus
importantes de notre département. Lorsque nous aurons
assez de fonds pour avoir un jardin d'acclimatation, nous
pourrons y cultiver un très grand nombre d'exemplaires
des meilleures espèces d'orangers connus, qui serviront de
porte-greffes pour être propagés dans le pays : en attendant, nous ne devons pas perdre un temps précieux ; et
nous devons au moins faire venir des greffes : occupons-nous sérieusement de cette importante amélioration : vous
vous attirerez, Messieurs, par ce moyen, la reconnaissance
de nos concitoyens, et le gouvernement connaissant l'utilité de notre Société nous accordera, j'en suis convaincu,
des subsides importants.
Comte DE PIERLAS.